mercredi 12 mars 2014

Interview de Benjamin Kouadio par Sophie Roger-Dalbert



    1.    Certains te considèrent comme une étoile montante de la BD africaine. Quel est ton sentiment face à cette reconnaissance ?
Je dis merci à tous ceux qui pensent ainsi de moi et de mon modeste travail. C’est un sentiment de joie qui m’anime.  C’est le fruit d’un long et dur labeur.  Je ne peux que rendre grâces à Dieu, l’auteur de toute grâce excellente. J’ai toujours été mu par des sentiments modestes, d’humilité. Ce que j’ai appris de mon père terrestre et bien plus de mon père céleste à qui je rends gloire d’avoir fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Dans mon cursus scolaire, j’ai été un élève brillant. Ceux de ma génération peuvent le témoigner. Beaucoup sont surpris que j’aie opté pour une carrière enseignante. Et de surcroît, auteur de BD. Je ne me voyais pas dans un autre domaine que celui-ci. Je signale, à toutes fins utiles, avoir fait mes études universitaires en Art et Lettres.

2.    Comment est née cette vocation ?
Elle remonte à mon enfance. J’étais un féru de BD. J’aimais en lire. J’étais un passionné de cette forme d’expression. Au quartier, on échangeait des exemplaires. Pour les lire ensuite. Cette façon de procéder m’a permis de lire beaucoup d’ouvrages illustrés. Une question m’a alors traversé l’esprit : Pourquoi ne pas créer mon propre personnage et lui faire vivre des aventures ? C’est ainsi que John Koutoukou est né. En janvier 1981.

3.    Quels ont été les difficultés les plus flagrantes pour arriver à te faire un nom ?
Les difficultés sont multiples et multiformes. On en rencontre au quotidien. Je commencerai par dire que le déclic est venu de mon premier album qui n’a bénéficié d’aucune promotion. Pas d’interview dans la presse écrite et audiovisuelle, pas de participation à des émissions littéraires. Et pourtant tout était consigné dans le cahier de charges. Rien n’a été respecté. Une autre anecdote des plus cocasses : c’était en 2001. Un festival de BD dénommé « Cocobulles »  se tenait à Grand-Bassam, première capitale de la Côte d’Ivoire. La maison d’édition en question ignorait qu’elle avait publié un album de BD et qu’elle avait un auteur maison qui pouvait booster les ventes à ce festival. C’est sur les lieux de la manifestation qu’une des responsables se souvient qu’un album a été publié. Elle m’a supplié pour que je vienne dédicacer sur le stand de ladite maison d’édition. Je vous laisse imaginer ma réponse. Un refus poli et ferme. Partant de ce constat, j’ai décidé de prendre mon destin en main, mu par la foi en un Dieu grand et puissant, et comptant sur sa grâce pour avancer. J’ai créé deux blogs que je gère jusqu’ici. Une page de profil créé sur facebook, une page officiel, deux autres pages pour mes personnages John Koutoukou et Petit Débrouyair, une page pour l’album « Les envahisseurs ». J’ai aussi créés deux groupes pour vulgariser la bande dessinée en Côte d’Ivoire et en Afrique. Une sorte de vitrine, de fenêtre ouverte sur le monde. Comme pour dire qu’en Afrique, il y a des talents. Par cet aval, j’ai pu rencontrer virtuellement le DA de Harmattan BD. Et la finalité a été la publication d’un album : Les envahisseurs.

4.    Quels sont les conseils que tu donnerais à des jeunes qui voudraient s’épanouir dans ce travail, cette passion ?
Pour ceux qui veulent arpenter les sentiers de la création graphique, il faut avoir des nerfs d’acier.  Faire de la bande dessinée en Afrique est un sacerdoce. Car elle ne nourrit pas encore son homme. Il faut s’armer de courage, travailler beaucoup, toujours se remettre en question pour pouvoir évoluer. C’est très difficile de faire de la BD. Ce n’est pas pour les paresseux. Même si certains auteurs se targuent d’être de gros paresseux. Ce qui est loin d’être avéré dans les faits. Quand on a l’amour de ce moyen d’expression, on arrive à faire d’énormes progrès. Il faut être non seulement à l’écoute des aînés mais aussi les respecter. On apprend beaucoup en étant humble. Il faut se faire former dans des écoles spécialisées, se documenter, participer à des ateliers, faire des festivals, etc. C’est très important.
J’ai appris mon métier. J’ai fait pratiquement 7 années d’étude académique à l’école des beaux-arts d’Abidjan, de 1983 à 1990. J’ai obtenu deux diplômes : le DNBA et le DNSBA. En Communication avec comme spécialités la bande dessinée et l’illustration. C’est important de le souligner. Pour celui qui veut aller loin dans ce domaine, il doit être formé. et bien formé. On ne s’improvise pas dessinateur de BD ou scénariste. Je terminerai par cette citation d’un auteur très célèbre du neuvième art mondial, Claude Moliterni que j’ai eu la chance de rencontrer en 2003 à Grand-Bassam avant qu’il ne décède: « Il est long de s’imposer, de se faire un nom. On peut souvent se heurter à l’incompréhension. Il faut une curiosité de l’esprit toujours en éveil, une disponibilité de soi à tout ce qui nous entoure, aux courants esthétiques aussi, toujours apprendre, étudier. Il faut aussi dessiner énormément pour enfin commencer à être maître de son dessin.  Il faudrait aussi beaucoup de tonus pour faire face aux échecs ou au rythme parfois survolté de la production ».

5.    La BD pour les adultes est-elle différente de celle qui va de 3 à 99 ans ?
Les adultes ne sont-ils pas aussi compris dans cette tranche d’âge ? Hahaaa ! Question très pertinente. La BD pour adulte est différente de celle qui est dite  « tout public ». Elle est focalisée sur le sexe, les scènes érotiques, la violence, l’horreur. Et c’est malsain de  laisser une telle littérature entre les mains de gamins. En ce qui me concerne, j’ai toujours réalisé des bandes dessinées « tout public ». Comme la BD franco-belge. Et la donne ne saurait changer.

6.    Faut-il  être écrivain pour bâtir un bon scénario, car le dessin n’est pas tout ?
La bande dessinée, quoiqu’on dise, n’est pas de la littérature au sens premier du terme. Elle est de la littérature dessinée. Puisqu’elle associe harmonieusement l’image (graphique) et le texte. Etre écrivain ne fait pas de vous un scénariste de facto. Le scénario se bâtit selon les normes de la bande dessinée. Il y a deux types de  scénarii : écrit et dessinée. Le scénario dessiné conviendrait à un scénariste ayant quelques notions de dessin. Le scénario est un art qui s’apprend. On ne s’improvise pas scénariste. Il faut savoir raconter une histoire, un récit. Selon les codes propres à la BD.


7.    Quelle est la collaboration qui t’a le plus marqué ?
La collaboration qui m’a marqué ? C’est celle que j’aie eu avec un caricaturiste dont je tairai le nom. Il avait un projet d’adaptation d’un texte théâtral en BD. On en a discuté. Et le travail a commencé. J’ai travaillé pendant des mois sur ce projet. Il était régulièrement chez moi, à la maison. Je l’ai même invité à échanger avec mes élèves pendant des séances en classe. Même sa femme. Le travail terminé, le quidam part en France avec tous mes originaux : des planches au format A3 (42X29, 7cm). En vue de trouver un éditeur. C’était en 1999. Il n’a plus donné signe de vie depuis cette date. Ce que je n’ai pas du tout apprécié. Heureusement que j’ai pu faire des photocopies de bonne qualité au format standard. J’ai pris langue récemment avec l’écrivain, auteur du texte. Nous travaillons actuellement à l’adaptation en BD de son texte. Imaginez-vous que je n’ai pas eu la présence d’esprit de faire de photocopies ! Ce serait la catastrophe ! J’aurai été obligé de reprendre ces 80 planches. Vous avez dit collaboration ? Il y a des bons et des mauvais côtés. J’ai tellement reçu des douches froides à ce sujet que je préfère prendre mes distances par rapport à certaines collaborations. J’évolue en solo. Mais je ne suis pas fermé à une bonne collaboration. Il faut reconnaître que c’est un tandem qui ne fonctionne pas toujours. Et quand il fonctionne, il laisse les coudées franches au dessinateur de se consacrer au dessin.

8.     Si tu devais te décrire en quelques mots, que dirais-tu ?
C’est très difficile de se décrire soi-même. Mais je vais essayer de le faire. Courtois, respectueux, aimable, perfectionniste. Je suis très exigeant vis-à- vis de moi-même. J’ai toujours mené une vie rangée. Loin de la mondanité. Peut-être parce que j’ai connu très tôt le Seigneur Jésus. A l’âge de 14 ans.  C’était au cours d’une méditation matinale. J’ai très peu d’amis dans la vie. Je ne sors pratiquement pas. Sauf pour aller au travail, effectuer des courses, aller prêcher la parole de Dieu les Dimanches. Tout le reste de mon temps se passe à la maison, en famille. Et puis, j’ai toujours du travail : des projets en cours, des blogs et des pages sur facebook à animer, etc. Je n’ai pas le temps pour autre chose. J’ai un profond respect pour autrui. Encore faut-il que ce soit réciproque. J’aime aider, encourager…sans en attendre quoique ce soit en retour. Je l’ai reçu de mon père et je l’ai vu faire. Et pourtant, il n’était pas chrétien. Je rends grâces à Dieu pour le fait qu’il lui a donné sa vie avant de mourir en 2004. Il a vu la gloire de DIEU dans ma maison. Quelle grâce !  Et je ne cesse chaque jour que DIEU fait de lui être reconnaissant.

9.    Quel est ton dicton favori ?
Hum, voyons. J’en ai plusieurs. Entre autres « Affaire à suivre » que j’aime écrire. Ou « Wait and see » qui en est une autre traduction.  Il y en a qui rythment ma vie au quotidien. Des versets tirés de la Bible, Parole de Dieu. « Ce que vous voulez que les hommes fassent  pour vous, faites-le de même pour eux. »  Un autre : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » Ma vie est empreinte de la grâce de DIEU.   Et je lui suis infiniment reconnaissant pour  ce qu’il accomplit pour moi et ma famille.

10.    Quels ont été les albums qui t'ont le plus marqué?
Il y en a beaucoup. Et je ne peux malheureusement  pas tous les citer. L’album se confond habituellement au nom du personnage. Dans cette logique, je peux citer  Gaston Lagaffe, Blueberry,  Tintin, Spirou, Rahan, BLeck le roc, Captain Swing, Akim, Mister No, Miki le ranger, Ombrax, Zagor… Ce sont des illustrés que j’aimais lire. Ils ont forgé mon apprentissage et ma maîtrise du français. La découverte de planches de Gaston Lagaffe signées André Franquin dans un album spécial de Spirou m’a définitivement décidé pour la bande dessinée. Bien que j’étais  déjà formaté pour une carrière littéraire. Au plan local, il y a Dago, Zézé dessinés respectivement par Laurent Lalo alias Maïga et Jean-Louis Lacombe. J’ai reproduit quelques planches de Lacombe paraissant dans l’hebdomadaire Ivoire Dimanche avec comme personnage Monsieur Zézé. Ce, depuis la classe de 4ème, au collège. J’en ai gardé quelques uns.  

INTERVIEW RÉALISÉE PAR SOPHIE